René CHAR disait « la poésie est un métier de lumière. » Rien d’étonnant qu’il ait été l’ami de Paul Eluard qui parlait de l’art des lumières et de Yannis Ritsos poète grec né deux ans après lui, qui réinterprète les mythes antiques à la lumière des luttes sociales et politiques modernes et qui disait : « le destin est le chemin vers le soleil. »
Ritsos publie en 1977 un livre « Le chef d’œuvre sans queue ni tête » avec un sous titre qui vaut bien le titre ; « Mémoires d’un homme bien tranquille et qui ne savait rien. »
Derrière le style incisif, l’œuvre de ce poète engagé qui subit la déportation témoigne d’une grande humanité.
René Char homme du midi ami de Camus et lecteur de Nietzche est un fervent admirateur de la Grèce.
Un critique avait fait un article ou il avait naïvement rapproché le nom de Char à Apollon dieu solaire, dieu grec de la beauté, de la lumière, des arts et de la divination.
La part solaire de René Char et sa part obscure se retrouvent souvent dans sa poésie, ce qui fait dire à Amina Saïd : « la poésie est notre part d’ombre et de lumière. »
Dans la résistance il deviendra le Capitaine Alexandre du Service Action Parachutage. Chef des maquis du secteur Durance Sud ; il livrera un combat sans merci aux forces du mal.
Les feuillets d’Hypnos écrits pendant la période de 1943/44, ne parurent qu’en 1945 ; « Hypnos , dit – il , saisit l’hiver et le vêtit de granit. L’hiver se fit sommeil et Hypnos devint feu. La suite appartient aux hommes. »
René Char avait dès I924 adhéré au groupe Surréalistes à Paris lors de sa rencontre avec André Breton et Louis Aragon :
Le 1er Manifeste du Surréalisme : Hommage à l’Imagination
Appel à l’Émerveillement
Foi en la résolution du conflit entre rêve et réalité
Le 2ème Manifeste du Surréalisme : Le Surréalisme ne se réclame d’aucune morale
Appel à l’implication sociale mise en garde contre l’endoctrinement politique.
Attirance de l’ésotérisme, refus du succès mercantile
Il a publié dans le surréalisme au service de la révolution un texte où il s’en prend à toutes les valeurs du système social, que ce soit la morale, l’ordre, l’argent, l’Armée, ou l’Église.
En 1966, il participe et s’oppose activement à l’installation des missiles nucléaires sur le plateau d’Albion dans le Vaucluse.
Les extraits que nous avons choisis sont ceux de poètes contemporains et des siècles précédents pour illustrer au mieux, l’œuvre de René Char :
« Toutes les choses ont leur mystère, et la poésie c’est le mystère de toutes les choses » de Federico Garcia Lorca
« La poésie saisit l’homme par son humanité entière, idée pour l’esprit, image pour l’imagination et musique pour l’oreille. » de Lamartine
« Des mots rayonnants, des mots de lumière avec un rythme et une musique, voilà ce qu’est la poésie. » de Théophile Gautier
« De même qu’il faut de la souffrance pour connaître le bonheur, il faut qu’il y ait de la prose pour qu’il y ait de la poésie » d’Edgard Morin « Quelques peuples seulement ont une littérature, tous ont une poésie. » de Victor Hugo
« Un grain de poésie suffit à parfumer tout un siècle » de José Marti
« La peinture est une poésie qu’on voit au lieu de l’entendre, la poésie une peinture qu’on entend au lieu de voir » de Léonard de Vinci
« La poésie ne se trouve pas dans un livre couvert de moisissures, la poésie est sur le chemin, dans chaque minute qui passe, Monsieur Madame la poésie est pour tous » d’Alain Péglion (Alan Pelhon)
L’éditeur José Corti a publié : « Le Marteau sans maître » et « Ralentir travaux » (Breton, Char, Éluard). Dans ses souvenirs, José Corti dit: » Char ne croit probablement pas beaucoup à l’inspiration ; mais, au hasard d’une rencontre, à l’aimantation des êtres et des choses. Il sait que le poète est un médium qui perçoit, sait le lieu et la prise. Quand il laboure, il pèse sur la terre ; il va toujours plus loin ; il revient sur le sillon autant de fois qu’il faut. Un manuscrit de Char est toujours la recherche de la dernière perfection. Quand on en est à l’impression, le repentir intervient : un mot, une inversion et le livre n’est pas plutôt achevé que se révèle ce qui aurait pu le parfaire. Tel poème de quelques vers n’a pas eu moins de sept ou huit états dont chacun a été définitif pendant quelques heures ou quelques jours. «
René Char disait que son œuvre était l’aboutissement et le fruit provisoire de son Travail, ce qui peut le rapprocher de notre recherche ; sa poésie demande souvent recherche, réflexion, curiosité ; elle peut également être hermétique ou se recevoir en plein visage comme ce feu ou cet éclair qui est « ce feu dans un bocage aride » ou « longtemps nos ancêtres ont dû regarder les orages se précipiter et la foudre griller les bois. De cet effroi et de cette contemplation est apparu le feu conquis. Toute une existence, ses assurances et ses changements a commencé à partir de cette étincelle, l’ouvreuse de tout un champ »
Cet aperçu de la vie et du symbolisme dans l’œuvre du poète universellement connu René Char est au désir de notre Frère Mauris.
Voici donc ce que nous dit René Char : « la poésie insolite, ce 5eme élément, sème ses planètes dans le ciel intérieur de l’homme »
Nous voici au cœur de notre désir maçonnique, essayer de concevoir un ou notre temple intérieur ; c’est-à-dire, essayer de faire partager ce que nous ressentons d’émotion à la lecture de ce 5eme élément.
Et si nous transcendons les paroles dites ce n’est pas dans la verticalité pour rejoindre un quelconque dieu mais pour ressentir au dessus de nous l’ineffable de l’expression.
René Char homme immense, stature de lutteur, de rugbymen, ou boxeur, ce dont il ne se priva pas dans sa jeunesse ; il a toujours fait partie de ma vie.
En effet, il est né en 1907, à l’Isle sur la Sorgue , dans ce que nous appelions le château des Névons; notre ferme familiale était à 300 mètres. Né un an avant mon père, mais la même année que mon oncle, ils jouaient tous les trois et plus tard firent également partie de l’équipe du rugby club l’Islois.
L’origine de Char était bourgeoise; son père était administrateur, puis propriétaire d’une société « Les plâtrières du Vaucluse » qui devinrent les plâtres Lafargue. Char vécut du rapport de cette usine jusque dans les années 1970. Ceci n’est qu’une précision de détail.
Son père fut élu maire de l’Isle et a sa place dans la ville, comme son fils qui a une bibliothèque et musée qui porte son nom. Musée Bibliothèque sont liés par une convention avec la ville de l’Isle sur la sorgue qui serait ces jours ci dénoncée par le nouveau maire. Convention qui permettait, sur un étage du Musée de Campredon Donadei , de recevoir manuscrits écrits et peintures de Char ou de ses amis.
La jeunesse du poète ne fut pas très heureuse ; plutôt mal aimé par sa mère, son frère et une de ses sœurs, il préféra la solitude des champs entourant la maison bourgeoise.
Les Matinaux : « les mêmes coups qui l’envoyaient au sol le lançaient en même temps loin devant sa vie, vers les futures années où, quant il saignerait, ce ne serait plus à cause de l’iniquité d’un seul »
Il dit en juillet 1930 dans le n° 1 de la Révolution surréaliste : « Le jour et la nuit de la liberté: Ma mère se range dans cette catégorie de bien pensante ; l’avenir en lui donnant raison lui a laissé le choix des armes. Incontestablement elle s’attend à tout de ma part »
IL préféra Julia, une de ses sœurs, qu’il aidera à se soigner toute sa vie ; elle fut un refuge pour l’enfant :
Dans le Poème pulvérisé Jacquemart et Julia : « jadis l’herbe, à l’heure où les routes de la terre s’accordaient à leur déclin, élevait tendrement ses tiges et allumait ses clartés ; les cavaliers du jour naissaient au regard de leur amour et les fenêtres de leurs bien aimées comptaient autant de fenêtres que l’abîme porte d’orages légers »
Cette solitude fut un refuge un peu magique par le réconfort qu’apportèrent les arbres les herbes l’eau de ce Névons ; un poème pour moi qui comporte énormément de souvenirs de cette même nature voisine semble en être une preuve :
Les Matinaux : poème Jouvence de Névons :
Dans l’enceinte du parc, le grillon ne se tait que pour s’établir d’avantage.
Dans le parc des Névons
Ceinturé de prairies
Un ruisseau sans talus,
Un enfant sans ami
Nuancent leur tristesse
Et vivent mieux ainsi.
Dans le parc des Névons
Un rebelle s’est joint
Au ruisseau, à l’enfant,
A leur mirage enfin,
Dans le parc des Névons
Mortel serait l’été Sans la voix d’un grillon Qui par instant se tait. »
L’eau l’air la terre le feu de l’été commencent à germer dans l’esprit.
Nous sommes ici dans l’évidence et la transparence.
Les Transparents furent également ces conteurs-bateleurs, acteurs, qui allant de village en village, animaient des rencontres conviviales avec les habitants.
Ces habitants de villages, émus par l’imagination transmise par ces Transparents, leurs donnaient alors le pain, le vin, le sel et l’oignon cru, s’il pleuvait la paille.
Char en parle dans un texte des Matinaux.
Les Transparents….
Eglin Ambrozane
La galante
Commencez à vous réjouir
Étranger je vais vous ouvrir
Eglin
Je suis le loup chagrin
Beauté, pour vous servir.
Pour expliquer pourquoi il est question des bateleurs- acteurs ; l’Isle sur la sorgue est à l’origine un bourg de pêcheurs (nommé Saint Laurent) ; à cette époque et pour de très longues années la sorgue est peuplée de truites, écrevisses, et castors.
Les Névons souvent cités est un canal d’arrosage devenu ruisseau ; il est maintenant souvent à sec, couvert en grande partie par le goudron.
Mais reste la Sorgue, cette « eau qui ne s’attarde pas au reflet des ponts » ; La Sorgue rivière surgi des entrailles de la terre dans un gouffre à la Fontaine de Vaucluse, village où Pétrarque écrivit ses lettres à Laure de Noves.
La Parole en archipel
Déclarer son nom : « j’avais dix ans ; la Sorgue m’enchâssait. Le soleil chantait les heures sur le cadran des eaux. L’insouciance et la douleur avait scellé le coq de fer sur le toit des maisons et se supportaient ensemble. Mais qu’elle roue dans le cœur de l’enfant aux aguets tournait plus fort, plus vite que celle du moulin dans son incendie blanc ? »
L’enchâssement est ici les divers bras de la Sorgue qui naissent au lieu dit Le partage des eaux, en un sage cadran des eaux, image visuellement exacte ; la roue dans le cœur de l’enfant est une de ces innombrables roues à aubes qui peuplaient et peuplent encore un peu ces bras de sorgue et servaient à faire tourner les machines des teinturiers menuisiers métiers à tisser des artisans Islois.
Quant à celle du moulin dans son incendie blanc : il existait une minoterie qui lorsqu’elle était en service, saupoudrait de poussière de farine blanche tout un quartier nommé le bassin, où encore maintenant les enfants vont dans la rivière.
Le poète parle très souvent de la Sorgue qui est presque partout dans son œuvre, une de ses pièces est le Soleil des eaux ; iI nommera son ami Louis Curel, louis Curel de la Sorgue.
Fureur et mystère
Rivière trop tôt partie, d’une traite, sans compagnon,
Donne aux enfants de mon pays le visage de ta passion.
Rivière où l’éclair finit et où commence ma maison,
Qui roule aux marches d’oubli la rocaille de ma raison.
Rivière, en toi terre est frisson, soleil anxiété,
Que chaque pauvre dans sa nuit fasse son plein de ta moisson…. »
Une autre vision de cette eau qui s’échappe librement de ce gouffre vauclusien, Vallis Clausa, aux sources très souvent citées ; la source devient vision puissamment sexuelle ; rêve de jouissance féminine, sollicitée et obtenue.
Dans Dehors la nuit est gouvernée :
« Lauréat des yeux transportés
Jusqu’au torrent pour la lécher au fond de sa faille
Secoue-toi infirme vent de portefaix »
La nature et ses éléments sont toujours présents dans l’œuvre immense et souvent
Hermétique, bien qu’il s’en soit défendu.
Mais revenons aux origines ; comme dit l’écrivain Raymond Jean, il n’est pas donné à tout le monde d’avoir un grand père paternel enfant naturel et abandonné, appelé au hasard du sort Charlemagne et rebaptisé Magne Char.
Le nom sera appelé à briller y compris dans la constellation d’Orion, dont les étoiles dessinent mieux qu’un grand chariot : un véritable char.
Son prénom est pour nous ma .°. prémonitoire :
René est renaît de renaître ; il naît donc, en renaissance, dans ce pays ceinturé d’eau, de terre, d’air et du feu du soleil pour aller avec son char céleste, « retrouver Orion pimenté d’infini et de soif terrestre. »
Même si en 1959, après le lancement des premiers satellites il s’adressera par un message –affiche pour proclamer son scepticisme en face de l’homme de l’espace,
Aux riverains de la Sorgue, l’Homme de l’espace, un milliard de fois moins lumineux que l’homme granité, reclus et recouché de Lascaux »
Notre chemin/trajet avec René Char se voudrait chronologique, mais certains poèmes cités n’ont pas été écrits dans le déroulement de ce trajet
Les années 20 sont l’époque du surréalisme que traversera Char ; il a 18 ans et édite à l’Isle quelques petites revues tel Méridien, où il signe Émile René Char.
Les cloches sur le cœur
« Les jours expiraient à ses cuisses
Les nuits se fondaient à sa chair
Les seins comme deux horizons
Se tendaient aux passifs orages
Le lait coulait comme une épave
Jusqu’aux inaccessibles fonds
Quand les anges tirèrent la langue
Les étoiles changeaient les bagues »
Puis vint la publication d’Arsenal , dans le recueil « le marteau sans maître »
Remarqué par Eluard qui vint aux Névons :
« Amour Être le premier venu »
« Devant les responsabilités du poème, sans hilarité, j’aime à croire le poète capable de proclamer la loi martiale pour alimenter son inspiration. L’étincelle dispose »
Pendant cette période du surréalisme il y eut des bagarres nombreuses puisque d’après lui l’homme qui ne dérange pas n’est pas pour régner
Ou bien « Un homme sans défaut est une montagne sans crevasse ; il ne m’intéresse pas »
Tu es pressé d’écrire
Comme si tu étais en retard sur la vie
S’il en est ainsi fait cortège à tes sources
Hâte-toi
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
Effectivement tu es en retard sur la vie
La vie inexprimable
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir
Dans ces altercations Char ne fut pas le dernier, mais il était d’un tempérament affable, prévenant, mais se montrait intraitable ; « je ne traite pas avec les porcs »
En effet au mois d’octobre 1930, dans le n° 2 du « surréalisme au service la révolution » , son article les porcs en liberté est une violente prise à partie pacifiste des fauteurs de guerre des hautes instances nationales, classe politique, clergé, armée.
Les porcs en liberté
« Les bons français, en 1930, s’absorbent dans la lecture des livres dits de guerre, où leur imagination et leur mélancolie trouvent un sûr aliment dans les délirantes scènes de meurtre et de pillage ; le temps d’éveiller au fond de leur conscience le remords de n’avoir pas pu accomplir au dernier moment le geste qui consiste à lâcher un petit coup de feu à tel encombrant blessé, geste qui leur aurait permis de jouir dans la paix d’un magot au moins aussi inaccessible que celui du mandarin légendaire »
Cela est étonnant et de nouveau d’une certaine actualité, quand on songe à de nombreux massacres d’aujourd’hui.
Mais comme le dit A. Camus avec qui une très profonde amitié les lia : Il est sans doute passé par le surréalisme, mais il s’y est prêté plutôt que donné, le temps d’apercevoir que son pas était mieux assuré quand il marchait seul »
Ainsi composés de 1936 à 1938 les titres de deux recueils disent bien son inquiétude et désespoir.
Placard pour un chemin des écoliers, en hommage aux enfants des républicains Espagnols
Enfants d’Espagne, j’ai formé ce Placard alors que les yeux matinaux de certains d’entre vous n’avaient encore rien appris des usages de la mort qui se coulait en eux. Pardon de vous le dédier ; avec ma dernière lueur d’espoir.
Dehors la nuit est gouvernée
La vieillesse
La vieillesse caresse les cartels de ce monde d’aubaines
En souille les paniers
La troupe chasse les gardiennes du frai
Le babel de langueur se referme toujours indemne
Traverse nous brûlant
Aquilin breuvage de liberté
Qu’une psyché de tempête accompagne
Par la morne accalmie clairsemée.
Ces textes annoncent les bouleversements de la société française et mondiale.
1936, front populaire, guerre d’Espagne où en 38 il se prépara à partir dans les Brigades internationales avec mon oncle qui fut par la suite un des chefs des maquis du Vercors ; le jour fixé les frontières espagnoles furent fermées à ces brigades par l’organisme libertaire et anarchiste, le POUND.
Le mois de Mai 39 était là avec la déclaration de la guerre
Le loriot entra dans la capitale de l’aube
L’épée de son chant ferma le lit triste
Tout à jamais pris fin.
Il se jura de ne rien faire paraître tant que durerait la guerre et la clandestinité ; au contraire par ex d’Aragon ou Eluard qui bien qu’engagés dans la lutte armée firent paraître des poèmes et le plus souvent sous des pseudonymes.
Chant du refus
« C’est la fin de tout des illusions comme des sursis
Le poète est retourné pour de longues années dans le néant du père
Ne l’appelez pas, vous tous qui l’aimez.
Ah, beauté et vérité fassent que vous soyez présents nombreux aux salves de la délivrance »
Cela fait partie du recueil Feuillets d’Hypnos paru en 1946 et écrit pendant que Char, était le capitaine Alexandre dans le mvt A . S et chef de la résistance du secteur Durance sud.
Face à tout cela, à tout cela, un colt, promesse du soleil levant.
Malgré les pertes, les tortures, les dénonciations, dont lui aussi fut victime et qui se cacha pendant de longs temps dans une chambre secrète d’une maison de Céreste connue de tous les habitants, il écrivait:
« J’ai ce matin suivi Florence qui retournait au Moulin du Calavon. Le sentier volait autour d’elle : un parterre de souris se chamaillant !
le dos chaste et les longues jambes n’arrivaient pas à se rapetisser dans mon regard »
Sa poésie n’est jamais simple langage ; c’est une aventure, verbe, autre qu’écriture ; beauté et fumure, le poème est alors écrit, instant de saisissement, où ce qui est découvert est alors fixé, immobilisé pour nous en nourrir.
Pour moi les actes de ce que j’appelle l’intelligence allant au sacrifice nous rapproche de notre démarche ma. °. et ce que nous ferons découvrir nos 3 degrés.
La fraternité est dans cette époque de massacres organisés ; c’est l’intelligence du don.
« Nous sommes des passants appliqués à infliger notre chaleur »
Char dans une immense demeure du centre de l’Isle, le château des demoiselles Rose, découvrit, entr’autres, les œuvres de ST. Just Lamartine Nietzche Proust qu’il adorait et des alchimistes Lulle et Paracelse et surtout Héraclite d’Éphèse :
Yves Battistini : «. On ne peut que penser à Héraclite et aux présocratiques qui ont tellement compté pour lui, et à cette philosophie parcourue d’éclairs poétiques. » La foudre gouverne l’univers » est sans doute l’aphorisme présocratique qui est le plus proche de la sagesse gréco-provençale de Char, et toute sa poésie est parcourue par la présence de la foudre, de l’éclair et du tonnerre comme le montrent – parmi d’autres – ces quelques extraits :
» Un jeune orage s’annonçait. » (Le Muguet )
» Dans la boucle de l’hirondelle un orage s’informe, un jardin se construit. » (A la santé du serpent)
» La foudre n’a qu’une maison, elle a plusieurs sentiers. » (Le terme épars)
» Sur la terre de la veille la foudre était pure au ruisseau. » (Cet amour à tous retiré)
» Je suis épris de ce morceau tendre de campagne, de son accoudoir de solitude au bord duquel les orages viennent se dénouer avec docilité. » (Biens égaux)
Il y a là toutefois quelque chose de troublant : dans l’orage se prépare une éclosion ou une nouvelle vie, des images contradictoires se mêlent (car la poésie surgit justement au cœur de » ce rebelle et solitaire monde des contradictions « ). Char évoque la » foudre au visage d’écolier « , et plus haut il est question d’un » jeune orage « , comme si la violence était conciliable avec une expérience d’innocence et de jeunesse, comme si au cœur de l’image brutale et foudroyante l’esprit faisait l’épreuve de la beauté. Expérience proche de celle de Hölderlin qui raconte comment c’est sous » le feu du ciel « , dans la » lumière philosophique « , lumière que diffuse l’orage qui » donne forme « , que le propre surgit, qu’un rapport nouveau à la terre environnante peut se créer. Char se demande » Combien durera ce manque de l’homme mourant au centre de la création parce que la création l’a congédié ?. Sous le ciel orageux et tragique semble commencer une nouvelle vie où la parole poétique prend forme, parfois obscure mais vivante, où les eaux sont » de verte foudre » et où » un jardin se construit « les orages viennent se dénouer avec docilité « , et apportent aussi la paix et une sagesse. »
Un poème de Char se compose de ces quelques mots : » Ils sont privilégiés ceux que le soleil et le vent suffisent à rendre fous, sont suffisants à saccager ! « . Il devait penser à Van Gogh, à Nietzsche et à Hölderlin, mais aussi – bien sûr – à lui-même, tant il y a chez lui une certaine souffrance qui consiste à sentir trop fortement la présence des éléments et le devenir tumultueux des choses. Ce qui en nous et autour de nous, au cœur de l’orage et dans l’absence des dieux, affirme une présence plénière et forte à la beauté des choses :
» Au plus fort de l’orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C’est l’oiseau inconnu. Il chante avant de s’envoler ».
Mais n’oublions pas son pessimisme :
« L’alouette »
Extrême braise du ciel et première ardeur du jour
Elle reste sertie dans l’aurore et chante la terre agitée,
Carillon maître de son haleine et libre de sa route
Fascinante, on la tue en l’émerveillant »
Et aussi sur Héraclite : sa vue d’aigle solaire, sa sensibilité particulière, l’avaient persuadé une fois pour toutes, que la seule certitude du lendemain c’est le pessimisme, forme accomplie du secret où nous venons nous rafraîchir, prendre garde et dormir.
Je me souviens de rencontres à Paris, où dans son appartement, face à face, j’essayais de comprendre cet homme que l’on peut dire lumineux par ses messages et ses actions et qui, de la musique de Pierre Boulez, inspirée par le poème : « le marteau sans maître », me disait, la bouteille se vidant : « tu vois, André, regarde ce disque qui vient de sortir, et bien je n’y comprends rien mais alors rien ; qu’est ce que cela veut dire ?
C’est comme ces concerts où je ne vais pas ou si peu, mais où le pianiste est là, devant tout l’orchestre ; qu’elle est cette manie ? »
Vous avez bien compris que la musique pour lui se trouvait ailleurs ; ailleurs que dans les signes notes ou silences qui pour un musicien, un mélomane, sont des étincelles de vie.
Ce n’est pas un poète provençal, même s’il est un homme du midi qui est toujours revenu et demeuré dans sa ville natale et a gardé des amitiés vraies et fortes ; s’il a parlé de cette région du Vaucluse il avait en pensée cette ressemblance avec un paysage d’universalité.
S’il se promenait très souvent et régulièrement avec son bâton dans ces monts arides il parcourait ainsi le monde.
Également Char ne parlait la langue provençale ni l’occitan ; lorsqu’il parlait avec nous à la ferme et plus tard avec ses vielles amies, dont sa nourrice, sur un parapet de la Sorgue, c’était en français.
Mais certains critiques, voient une certaine forme d’écriture qui se rapproche du provençal par la tournure et l’ordonnance des mots ;
Ainsi Claude Lapeyre cite une lettre de Char à son ami de toujours Francis Curel de la Sorgue : « je ne veux oublier jamais, que l’on m’a contraint à devenir un monstre de justice » en langue provençale : « Noun voli oublia jamaï»
Dans les années 65 il s’installât presque définitivement aux Busclats, dans sa maison située sur les premières hauteurs de cette montagne qui lui faisait souvenir de la Grèce ; ne dit on pas que les monts du Vaucluse et ce Lubéron rappellent à l’identique ce pays des premiers philosophes.
Profondément pessimiste quant à la situation politique française et internationale jusqu’à la fin de sa vie, comme en témoignent A une sérénité crispée et L’Age cassant (repris en volume dans Recherche de la base et du sommet). Sous ce rapport, ses vues très lucides sont proches de celles d’Albert Camus dans L’Homme révolté, avec qui il entretiendra une indéfectible amitié.
Cela ne l’empêche pas de prendre position contre l’installation des missiles nucléaires sur le plateau d’Albion dans ce Vaucluse
L’imbécile malheur à l’index pointé se ceignit une fois de l’écharpe de maire.
Tout fini par mourir, excepté la conscience qui témoigne pour la vie.
Peu de temps avant : « il y eut un vol silencieux du temps devant des millénaires, tandis que l’Homme se composait
Vint la pluie à l’infini
Puis l’homme marcha et agit
Naquirent les déserts, le feu s’éleva pour une deuxième fois, gâcha ses richesses et massacra les siens.
Eau, terre, mer, air, suivirent cependant qu’un atome résistait.
Ceci se passait il y quelques minutes.»
Après avoir eu de nombreuses alertes cardiaques et des longs moments de perte de mémoires ainsi que du souvenir de ses amis, il s’éteignit au Val de Grace, le 18 février 1988 sous son nom de résistant.
On ne veut pas savoir que cela fut qu’attaché sur une chaise, il hurlait depuis de longs jours, appelant sa sœur Julia « sors-moi de là ».
Nous avons essayé de, comme il disait ainsi qu’Éluard : de donner à voir ; donner l’envie de lire et ressentir ce : « merveilleux moment que celui où l’homme n’avait nul besoin de silex, de brandons pour appeler le feu à lui, mais où le feu surgissait sur ses pas, faisant de cet homme une lumière de toujours et une torche interrogative » alors que l’herbe dans la matinée élevait tendrement ses tiges et allumait ses clartés.
Passage d’un CD : Voix de R. CHAR; « REDONNEZ-LEUR », poème qui, par son contenu, est peut être pour nous un symbole de notre recherche.
Je vous invite à visiter le musée Pétrarque à la Fontaine de Vaucluse où sont exposées habituellement un condensé de ses œuvres ; vous verrez le gouffre d’où surgit la Sorgue dans cette vallée fermée où les gradins de roches s’étagent dans le ciel bleu, comme ceux de Delphes.
Également le musée R Char à l’Isle sur la sorgue dans l’Hôtel Donadei de Campredon.
Ce musée est à l’initiative de Jean Garcin qui fut député conseiller Général du Vaucluse, compagnon de résistance où déguisé en curé il prit part à cette époque qui fut pour moi la plénitude de l’acceptation et la mise en œuvre de la Laïcité
Aragon
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Encore un mot pour faire le lien avec Char et fermer provisoirement la boucle
Un poème d’un enfant de Térézin camp où furent parqués au moins 10.000 enfants juifs, « ce fut une vitrine pour la Croix rouge qui visitait des camps !!!! » : musique, enseignement et nourriture meilleure, avant d’être envoyés à Auschwitz ; une centaine seulement en revinrent !.
Térézin le 2 12 42
Le jardin
Petit jardin
Tout plein de roses embaumées
L’allée est étroite
Un petit homme s’y promène
Marmot menu, joli, joli
Comme un bouton qui s’ouvre.Quant le bouton fleurira
Petit garçon plus ne sera.
Bruno BASS parti en fumée le 8 10 44 Auschwitz à l’ âge de 12 ans
En forme de Haïku, voici celui de cet enfant de 13 ans qui fit parti de cette fumée et poussière d’étoiles…
« Mais ici Je n’ai pas vu de papillon. » De Franta BASS
En 1954, les Nevons sont vendus, depeces, le parc transforme en H.L.M., le ruisseau qui le traversait recouvert d’une route. Char part a la source de ses racines dans
Des éclaboussures de lumière sur un chemin de vie….
Magnifique poète que je ne connaissais pas merci à vous
Bonjour, mon commentaire n’en est pas un puisqu’il ne porte pas directement sur cet article que je trouve irréprochable. Mais il se trouve que j’essaie de reconstituer la carrière de joueur de rugby de René Char, carrière qui ne semble pas intéresser grand monde:-) Et, miracle! l’auteur de cet texte semble avoir connu des islois qui ont joué avec lui. Puis je espérer en savoir un peu plus?
juste: merci.