Proudhon: la troisième voie?

Mon exposé comportera deux parties distinctes :

Une première partie dans laquelle je présenterai une biographie de Proudhon avec un exposé des idées et théories qui ont été développées par l’intéressé au cours de ses différents écrits.

Et une seconde partie qui sera consacrée à un essai pour décrire un certain nombre de pratiques et institutions qui sont ou ont été en usage au cours de la période contemporaine et que l’on peut considérer comme constituant des conséquences ou applications des dites idées ou théories.

Au cours de cet exposé je m’efforcerai d’être le plus objectif possible face à une œuvre qui peut parfois prêter à polémiques et dont l’auteur n’est pas exempt de préjugés propres à son époque ( antiféminisme et antisémitisme).

1 Etude biographique

Pierre-Joseph Proudhon est né le 15/01/1809 à Besançon ; d’un père garçon brasseur et d’une mère cuisinière. Grâce à une bourse il fait des études jusqu’à 17 ans puis il devient ouvrier typographe . Il en profite pour apprendre le latin, le grec et l’hébreu.  En 1838 il passe le baccalauréat et obtient une bourse pour suivre les cours  du Collège de France et de l’Ecole des Arts et Métiers.

En 1839, il publie « De la Célébration du dimanche » , puis en  1840 , un ouvrage qui fait scandale, « Qu’est-ce-que la propriété ? »  Après la publication en 1841 de  « Avertissement aux propriétaires »,  il est traduit devant la Cour d’Assise du Doubs qui l’acquitte. Il devient alors Fondé de pouvoir dans une entreprise de transport de Lyon et ce, pendant 5ans.

Le 8 janvier1847, il est initié à la Loge « Sincérité, Parfaite Union et Constante Amitié » à Besançon. Il s’agit là d’une loge d’inspiration chrétienne avec des références au Rite Ecossais Rectifié.  Il y est entré, parrainé par son oncle, un ancien prêtre défroqué, lui-même membre d’une loge du Rite de Misraïm. La même année il s’installe à Paris où il exerce le métier de journaliste. En 1848, il est élu député d’extrême gauche à l’Assemblée Nationale. En 1849 ; il est condamné à 3 ans de prison pour avoir violemment attaqué Napoléon III dans son journal, « La voix du Peuple ».

Après la publication en 1858 de l’ouvrage « De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise  » , il est de nouveau emprisonné et doit s’exiler en Belgique où il écrit « La guerre et la paix ».  Amnistié en 1862, il meurt le 16 janvier 1865 à Passy.

Au total, les écrits de Proudhon comprennent plus de 40 volumes.

Examinons ci-après les idées et théories développées par l’auteur dans son œuvre.


11 La propriété, c’est le vol.

Le propriétaire capitaliste se contente de rémunérer ses salariés en payant une somme correspondant à l’addition des forces de travail de chacun. Or c’est un calcul faux, car c’est la force collective du travail et non l’addition des forces individuelles qui donne à l’exécution du travail toute son efficacité.  Comme le dit Proudhon, il a fallu quelques heures à 200 grenadiers pour élever l’obélisque de Louxor sur la place de la Concorde à Paris ; peut-on raisonnablement supposer qu’un seul homme, en 200 jours en serait venu à bout ? !  C’est la force collective qui permet d’obtenir ce surplus d’énergie, et c’est le propriétaire capitaliste qui s’attribue le gain dû à ce surplus d’énergie. La propriété capitaliste a donc pour résultat de mener à l’exploitation du travailleur en effectuant une retenue sur son travail productif.  C’est pourquoi la propriété capitaliste c’est le vol.

En fait et Proudhon le précisera ultérieurement plus tard il vise ici la propriété des moyens de production.  En effet il n’est pas contre la propriété individuelle car celle-ci peut assurer la protection des faibles contre l’Etat qui reste l’ennemi véritable du citoyen.

12 Le gouvernement de l’homme par l’homme peut conduire à la servitude.

Proudhon s’oppose à toute autorité imposée ( c’est-à-dire imposée à l’homme par quelqu’un ou quelque chose qui lui soit extérieur ). En conséquence il s’oppose à l’autorité de l’Eglise comme à celle de l’Etat.  Il s’oppose au marxisme dans lequel il voit une nouvelle religion , « cette religion fut-elle la religion de la logique, la religion de la raison ».

Concernant le suffrage universel il est assez critique car selon lui c’est une « … institution  excellente pour faire dire au peuple non ce qu’il pense, mais ce qu’on veut de lui ».  On songe au fameux slogan de mai 68 : « Élections, Piège à Cons ».

13 L’ordre ne peut être que le résultat d’un consentement individuel.

Proudhon n’est pas contre toute forme d’ordre, il est pour un ordre volontaire c’est-à-dire qui émane de la seule volonté de l’intéressé et non d’une volonté extérieure coercitive.  Il veut un ordre dans lequel chacun  « soit producteur et consommateur, citoyen et prince, administrateur et administré » . En tout état de  cause, il ne pourra pas s’agir d’un ordre politique mais d’un ordre essentiellement économique basé sur l’autogestion et le fédéralisme.

14 Le système d’autogestion fédérative préconisé par Proudhon se caractérise par les points suivants :

141- Une justice sociale basée sur un profond respect  de la dignité humaine.  L’homme grâce à sa raison a la faculté de sentir sa dignité aussi bien dans son semblable que dans sa propre personne.  Pour assurer cette dignité chez autrui encore faut-il tout mettre en œuvre pour organiser autant que possible le maximum d’égalité entre individus.  A cet effet, les forces sociales doivent être équilibrées afin que les unes n’écrasent pas les autres entraînant par là même l’atteinte à l’égalité de chacun de leurs membres et donc à leur liberté en tant qu’individu.

142- Une grande liberté individuelle basée sur le fait que l’homme est l’égal de l’homme, qu’il est son propre juge, son propre maître.  C’est la devise bien connue de l’Anarchie : « Ni Dieu ni Maître ».

143- L’autogestion comme base d’organisation.
Les hommes se grouperont volontairement en s’obligeant réciproquement les uns envers les autres et en s’engageant à livrer ou faire quelque chose qui est considérée comme l’équivalent de ce que l’on fait pour eux.  Ainsi, l’économie sera autogérée dans le cadre d’institutions mutualistes et coopératives.

Quant au domaine de l’administration générale, ce sera autogéré de la même manière.  Les communes s’associeront volontairement dans le cadre de provinces qui se regrouperont elles-mêmes pour constituer un Etat fédératif.  Celui-ci ne devra pas atteindre une trop grande taille afin de ne pas devenir oppressif.  Mais Proudhon insiste sur le fait que cet Etat fédératif ne peut avoir de pouvoir coercitif ; il n’a qu’un pouvoir  de coordination générale qui laisse aux seules unités de base, le pouvoir d’exécution

2 Les pratiques et systèmes qu’on peut logiquement rattacher aux idées et théories développées par Proudhon.

Dans ce cadre, j’aborderai successivement les sujets suivants :

21 L’autogestion
22 L’économie sociale et solidaire
23 Le Microcrédit
24 Les Logiciels Libres


21 L’autogestion.

Autogestion signifie gestion par soi-même :du grec « autos » (soi-même) et du latin « gestio »(gérer).  Dans sa définition classique, c’est le fait que dans un groupe,  les décisions sont prises par l’ensemble des personnes composant le groupe.  En fait, la définition de l’autogestion est beaucoup plus complexe car intégrant des paramètres qu’on ne retrouve pas forcément dans toutes les formes d’autogestion existantes : la suppression de toute distinction entre dirigeants et dirigés, la non appropriation par certains des richesses produites par le groupe,  la volonté de s’organiser sans dirigeant, les modalités de prises des décisions, etc..Il convient donc d’affirmer que l’autogestion se caractérise par une grande pluralité tant dans ses outils de décision ( votes par assemblée générale… ) , que dans ses structures (associations,SCOP…) ou dans ses buts (cogestion, abolition du salariat…). Mais le principe de base reste toujours le même : la recherche d’un consensus entre les membres du groupe.

Historiquement, l’autogestion a été développée  par les Associations ouvrières au début de la révolution industrielle puis adoptée par la Première Internationale Ouvrière.
L’Espagne républicaine a connu (1936-1939) une expérience autogestionnaire.
On peut aussi citer l’expérience autogestionnaire yougoslave après la deuxième guerre mondiale ( Tito fit inscrire l’autogestion dans la Constitution du pays).
Citons aussi l’autogestion algériennes (éphémère) en 1962 après l’Indépendance.. les communautés zapatistes du Mexique , les Kibboutz en Israël …

En 1970, la CFDT propose l’autogestion comme alternative au système capitaliste ; idem pour le PSU de Michel ROCARD . Il en est de même pour le parti socialiste en 1975 et le PCF  en 1977.
En dépit d’une certaine désaffection actuelle pour le système autogestionnaire de la part des grandes formations politiques ou syndicales françaises , le système reste défendu en France par les courants politiques se réclamant de l’anarchisme, du communisme libertaire ou du syndicalisme révolutionnaire.
Enfin, n’oublions pas de mentionner que l’on retrouve l’esprit de base du système autogestionnaire dans le système de l’économie sociale et solidaire que j’examinerai plus loin et dont l’importance est loin d’être négligeable en France.

J’aimerais terminer mon propos sur l’autogestion en vous présentant un exemple concret d’organisation autogestionnaire, et ce, en vous parlant du kibboutz israélien.

Les kibboutzim ( pluriel du singulier kibboutz ) sont des communautés collectivistes  localisées dans tout Israël et crées en 1909 (kibboutz Degania ) par le mouvement sioniste sous l’influence des idées du socialisme associatif.  A l’origine, il s’agissait de communautés purement agricoles mais des activités industrielles ont commencé à y être développées dès les années 1940-1950 .

Le kibboutz  est une communauté délibérément formée par ses membres où il n’existe pas de propriété privée et qui est destinée à pourvoir à tous les besoins de ses membres et de leurs familles.

C’est une unité de peuplement dont les membres sont organisés en collectivité  sur la base de la propriété collective des biens, basée sur le travail individuel, l’égalité entre tous et la coopération de tous les membres dans tous les domaines de la production, de la consommation et de l’éducation.

La plupart des kiboutzim sont conçus sur le même modèle : au centre sont les édifices communs ( réfectoire, bureaux, salle de réunion, bibliothèque ) entourés par les jardins et les maisons d’habitation ; un peu plus loin, on trouve les bâtiments et équipements sportifs.  Les champs ,vergers et bâtiments industriels se trouvent à la périphérie.

A l’origine, toutes les décisions étaient prises par l’assemblée générale ;  par la suite, on a vu apparaître des organes élus mais l’idéal du kibboutz exige qu’ils aient peu de pouvoir.

Laïcité et égalité des sexes sont des principes s’appliquant de façon générale aux kibboutzim bien qu’il existe, au fil du temps,  un certain nombre de kibboutzim religieux de plus en plus nombreux  avec lesquels les relations sont parfois très tendues.

Au cours du temps sont apparus des travailleurs extérieurs au kibboutz (sans droit de vote) juifs et non-juifs : volontaires étrangers, salariés arabes israéliens, travailleurs immigrés.  A l’exception des salariés extérieurs, il n’y a normalement pas de salaire : les biens collectifs ( écoles, piscines, etc ) et les biens de consommation individuels (logements, télés, ordinateurs…) sont en principe fournis de façon gratuite et strictement égalitaire par. la communauté.

Chaque unité est autogéré, il a donc l’autonomie politique comme une municipalité et aussi l’autonomie économique c’est-à-dire doit être considérée comme une entreprise opérant sur le marché libre.

Suit un passage qui décrit les regroupements en fédérations et l’historique détaillé de cette forme d’organisation en collectivité qui peut être une des réalisations concrètes des théories évoquées par Proudhon, nous aurions pu également citer l’expérience sociale de GODIN…


22 L’économie sociale et solidaire.

Le terme d’économie sociale et  solidaire regroupe un ensemble d’organisations ( coopératives, mutuelles, associations, fondations ) fonctionnant sur des principes d’égalité des personnes ( 1 homme 1 voix ), de solidarité entre membres et d’indépendance économique.
Le terme d’économie sociale se réfère plutôt  à des organisations identifiées par leur statut  et occupant une place importante dans la vie économique ( banques, mutuelles, etc..).
Quant au terme d’économie solidaire il vise des activités destinées à expérimenter de nouveaux modèles de fonctionnement de l’activité économique.

221 L’économie sociale.

Elle se compose des activités économiques exercées par des sociétés, principalement des coopératives ( les SCOP : sociétés coopératives de production ) et des mutuelles, ainsi que par des associations.  L’économie sociale obéit à sa propre éthique qui correspond aux principes suivants :

. un statut privé
. la primauté de l’Homme sur le capital
. un but non lucratif
. l’indivisibilité des réserves : patrimoine collectif et impartageable
. une finalité au service de la collectivité : intérêt général et utilité sociale
. un système de décision démocratique : « une personne, une voix »
. une autonomie de gestion

D’après les chiffres publiés par l’INSEE, l’ économie sociale représentait en France, en 2008, près de 10 °/°  de l’emploi salarié national et 8 °/° des salaires.

En ce qui concerne les SCOP, la crise économique actuelle a mis en lumière les vertus de ce système.  Selon un article du Monde du 2/2/2010, les SCOP obtiennent des résultats économiques supérieurs à la moyenne des entreprises.  Elles auraient moins souffert de la crise.  L’importance des réserves des SCOP est rassurante pour les banquiers qui hésiteraient moins à prêter.  Pourtant, ce statut a encore peu d’adeptes en France.  Les 1950 SCOP de France emploient près de 41 000 salariés, dix fois moins qu’en Italie ou en Espagne.

222 L’économie solidaire.

Quelques exemples d’économie solidaire ;

2221- Les AMAP.

Les Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne ( AMAP ) ont pour but de préserver l’existence de fermes de proximité dans le cadre d’une logique d’ »agriculture durable », c’est-à-dire une agriculture « socialement équitable » ( fixation d’un prix juste ) et » écologiquement saine ». Un groupe de consommateurs ( 40 à 60 ) s’engage à soutenir un agriculteur en préfinançant sa récolte en vue de l’aider à effectuer des investissements sur son exploitation et lui permettre ainsi d’avoir des débouchés assurés.

Cette activité solidaire a pour finalité de soutenir une agriculture respectueuse de l’environnement par rapport à une agriculture intensive qui a des effets néfastes sur l’environnement et l’alimentation.  Elle permet également la survie des agriculteurs dans un contexte économique où les plus faibles d’entre eux disparaissent progressivement.

Les AMAP sont apparues en France en 2001.  On estime actuellement que 100 000 consommateurs en France sont engagés dans ce mouvement. Les AMAP doivent respecter une charte qui est celle qui a été établie au moment de la création des premières AMAP dans le sud de la France.

2222 Les SCIC.

La Société Coopérative d’Intérêt Collectif ( SCIC ) est une nouvelle forme d’entreprise coopérative créée en France en 2001 qui a pour but d’associer autour d’un même projet, de multiples acteurs : salariés, bénévoles, usagers, collectivités publiques, entreprises, associations, particuliers…Et toujours sur la base du principe :  1 personne 1 voix.

2223- Le Commerce Equitable.

Se définit comme étant un partenariat commercial entre importateurs/consommateurs des pays du Nord et producteurs « marginalisés » de pays du Sud.  Il concerne des produits divers (alimentaires, vestimentaires ,décoratifs, etc.. ) ayant, en général, un prix de vente modéré.

23 Le Microcrédit.

Dans son ouvrage intitulé, « Solution du problème social, Proudhon présente un programme de coopération financière entre travailleurs. Son projet s’appuie sur l’établissement d’ »une banque d’échange » qui accorderait des crédits à un très faible taux d’intérêt aux travailleurs.
L’institution du microcrédit  reprend un peu cette idée là puisqu’elle vise à permettre l’accession au crédit, pour des couches laborieuses considérées comme inintéressantes par les banques en raison de risques financiers trop grands ou de potentiels de profit trop faibles.

On peut trouver des antécédents au microcrédit dans la pratique du prêt sur gage à taux faibles ou nuls des Monts de Piété, dans les mutuelles de crédit agricole, les banques populaires créées en Europe à la fin du XIX° siècle.

Le système du microcrédit a été développé par le professeur d’économie, Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix en 2006.  A l’occasion de travaux pratiques organisés avec ses étudiants, au Bangladesh,  il apprend que 42 femmes fabriquant des tabourets de bambou dans des villages voisins ont besoin de 27 dollars au total pour  développer leurs activités.  Or toutes les banques refusent de prêter ce trop faible montant à des clients présumés insolvables.  Yunus trouvant que cette situation est honteuse, prête la somme de sa propre poche, en permettant ainsi aux fabricants d’acheter à l’avance le bambou sans avoir à subir des variations de prix.  Au moyen de cette opération, ceux-ci réussissent à créer des emplois et à rembourser Yunus.

En 1976, le Professeur crée la GRAMEEN BANQ, organisme qui propose des prêts aux plus pauvres du Bengladesh.  Créé en 1979, le CENTRE INTERNATIONAL DU CREDIT MUTUEL a organisé des réseaux coopératifs de microfinance  en Afrique et en Asie.  Créée et présidée par Jacques Atali, PLANET FINANCE est l’une des principales organisations internationales dans ce secteur d’activité. En France, citons l’ASSOCIATION POUR LE DROIT A L’INITIATIVE ECONOMIQUE qui délivre des crédits à des chômeurs ou Rmistes créateurs de leur propre emploi, ou à des travailleurs pauvres.

En 2005, un rapport de la Banque mondiale a dressé un rapport positif concernant l’efficacité du microcrédit comme aide au développement économique. En 2006, le Prix Nobel de la Paix a été conjointement attribué à Muhammad Yunus et à la GRAMEEN BANQ, ce qui constitue une reconnaissance portée à la microfinance par la communauté internationale.

Mais il faut reconnaître qu’un certain nombre de critiques se sont élevées contre ce système :

les taux élevés de certains prêts (environ 20 °/° ), le fait qu’il favoriserait des activités peu rentables, le fait qu’il devrait nécessairement être accompagnés par des programmes sociaux, or, ce n’est pas toujours le cas.

De plus, à leur tour, les banques se sont mises à s’intéresser à l’institution  créant de ce fait une microfinance dite « de marché » ce qui a eu pour conséquence d’entraîner un certain nombre de dérives causées par une recherche trop systématique de la rentabilité des opérations, ainsi que le dénonce, d’ailleurs, une étude de l’Organisation Mondiale du Travail.

J’ai lu récemment que la banque centrale du Bangladesh avait demandé à Muhammad Yunus de quitter son poste de directeur général de la GRAMEEN BANK. Officiellement parce que à 70 ans, il a dépassé l’âge légal de la retraite.  Officieusement, il paie le prix de sa rivalité politique avec le Premier Ministre du Pays, mais c’est aussi la conséquence d’un certain désenchantement pour le Microcrédit à cause de tous les abus constatés.

24 Les Logiciels Libres.

Selon les critères définis par Richard Stallman, un scientifique du célèbre « Massachussets Institute of Technologie » aux Etats-Unis, un logiciel informatique est dit « libre », s’il confère à son utilisateur, les quatre libertés suivantes :

–    la liberté d’exécuter le programme pour tous les usages
–    la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins
–    la liberté de redistribuer des copies du programme
–    la liberté d’améliorer le programme et de distribuer ces améliorations au public, pour en faire profiter toute la communauté

Les fabricants des premiers ordinateurs produits en série ( vers les années 1965/1970 ) prirent l’habitude, de mettre en place, des groupes d’utilisateurs ayant pour utilité de partager leurs expérience entre eux . Ces groupes étaient soutenus par les fabricants eux-mêmes, et des modifications de logiciels étaient notamment ainsi échangées.

Il faut bien voir qu’à l’époque la source essentielle des revenus pour les fabricants d’ordinateurs était le matériel informatique, les logiciels n’étant qu’un moyen pour faciliter la vente du premier. Les milieux professionnels et universitaires s’échangeaient volontiers logiciels et codes sources . On désigne par codes sources, en gros, ce qui correspond à des programmes créés à l’aide du langage de base propre à chaque ordinateur.

Par la suite, des lois antitrust, interdirent ces pratiques, et au début des années 1970,  des décisions de justice obligèrent les constructeurs d’ordinateurs à facturer séparément leurs logiciels, ce qui va avoir comme conséquence de développer l’activité des éditeurs de logiciels, et donc, la vente des licences  d’utilisation.

Parallèlement, les fabricants vont se mettre à restreindre l’accès aux codes sources, d’où l’impossibilité pour les utilisateurs de pouvoir étudier, corriger ou améliorer les logiciels acquis. De plus, la copie de ceux-ci devient, en principe, interdite, et bien entendu, il n’est plus question de pouvoir les échanger entre utilisateurs. La vente des logiciels sous ces conditions sera, désormais, la règle .

Richard Stallman dont nous avons précédemment cité le nom prend conscience qu’il y a un problème lorsque les collègues avec qui il travaillait et échangeait des logiciels jusqu’ici sont  contraints, à leur tour, de produire des logiciels qu’ils ne pourront plus désormais partager.  En 1984, il  lance un projet de travaux informatiques ayant pour objet de développer un nouveau système d’exploitation pour ordinateur capable de donner naissance à des logiciels du type « libre ».  C’est le projet GNU ; se prononce gnou et signifie en anglais : GNU n’est pas UNIX .  Ceci ayant pour but de ne pas le confondre avec UNIX qui est un autre système d’exploitation  créé en 1969 par Ken Thompson et utilisé à ses débuts essentiellement dans les milieux universitaires.

Parallèlement à ce genre de travaux informatiques, Stallman crée la « Fondation pour le Logiciel Libre » ( Free Software Foundation  ). Et afin de donner une assise juridique solide à cette notion de logiciel libre, il rédige un document intitulé « Licence publique générale GNU   (GPL) » qui est basé sur le principe  du Droit d’auteur ( c’est-à-dire la capacité pour l’auteur d’une œuvre, y compris les logiciels informatiques d’en conserver la pleine propriété pendant 70 ans ), ce qui a notamment pour conséquence d’interdire la possibilité que l’évolution ultérieure d’un logiciel créé, à l’origine comme libre, devienne, par la suite, non partageable.

Le but des logiciels libres est donc de permettre le partage complet de l’information, d’où la référence nécessaire au principe de Liberté.  Les développeurs et utilisateurs de logiciels libres réalisent ou utilisent des outils fondés sur un mode de production reposant sur la collaboration, l’entraide, le partage, la mutualisation. Bill Gates, le fondateur de Microsoft et de son logiciel vedette, Windows, a, d’ailleurs, comparé les communautés du logiciel libre à des  « communistes » d’un nouveau genre.

Richard Stallman va même jusqu’à estimer que le droit d’auteur attaché aux logiciels commerciaux et qui interdit à un utilisateur d’aider ses propres amis à l’aide d’une simple copie de son logiciel, est une notion nuisible à la Société.   Il illustre ses propos par la comparaison avec la recette de cuisine d’un gâteau :

–    selon le principe du logiciel libre, en supposant que vous ayez obtenu cette recette par divers moyens légaux ( achat d’une revue, bouche à oreille, etc .. ), vous avez automatiquement  le droit de redistribuer cette recette à qui bon vous semble, en plus vous pouvez la modifier comme vous voulez.

–    selon le principe du logiciel non libre, vous n’avez pas accès à la recette mais uniquement au gâteau déjà fait. Vous ne pouvez manger celui-ci que dans une seule cuisine, et personne d’autre que vous ne peut en manger. Et même si la recette est fournie avec le gâteau, toute copie ou modification sera interdite.

Pour résumer, disons que Stallman a mis, avant tout, l’accent sur l’aspect politique, moral ou philosophique du logiciel libre.

Par contre, d’autres auteurs tels que Linus Torvalds, le créateur du logiciel libre, LINUX, mettent plutôt en valeur, le côté pratique, efficacité, du système, lequel selon eux favorise pleinement la coopération technique entre créateurs informatique qui est comparable à celle observée dans le monde des chercheurs scientifiques : chacun d’entre eux publiant ses résultats dans la communauté scientifique, ce qui permet aux autres d’améliorer leurs propres travaux et, ainsi, de créer de nouvelles solutions.

Cette motivation d’ordre plus pratique que politique ou philosophique, on la retrouve, également, dans la notion de logiciels « Open Source » ( ou Logiciels Ouverts) dont les principes sont très proches de ceux du logiciel libre de Richard Stallman, et qui ont été définis en 1998 par une organisation appelée « Open Source Initiative ».

Arrivé à ce point de mon exposé, l’auditeur pourrait valablement se poser la question suivante : pourquoi ne pas aborder un domaine d’activité très important de nos jours ;  je veux parler d’Internet.  En effet, on retrouve, ici, un certain nombre d’ aspects qui apparaissent comme tout à fait dans le cadre du sujet développé : aspects d’ordre associatif, de relative libre communication et gratuité d’utilisation, etc..

Le point qui me fâche concernant Internet, en plus de certaines limitations à son usage existantes, c’est qu’à part son utilisation dans des environnements bien particuliers ( milieux universitaires, bornes d’accès WIFI publiques,etc.. ),  son emploi,  aujourd’hui,  sous-entend, de manière générale qu’il faut, au préalable, passer par une personne ( opérateur privé ou public ) qui vous fait payer une somme d’argent plus ou moins importante, ce qui est quelque peu incompatible avec les idées auto-gestionnaires et les courants qui s’y rattachent.

3 En guise de conclusion.

Je ne voudrais pas terminer cet exposé sans évoquer très brièvement le sujet des relations qui existent entre Proudhon et le système politique et philosophique qu’on appelle l’Anarchisme.  En effet, l’intéressé est considéré par les spécialistes comme l’un des pères fondateurs de ce système.  A toutes fins utiles et contrairement à une idée souvent répandue, rappelons que pour les théoriciens de ce système, celui-ci ne consiste pas en la négation de toutes règles;  au contraire.
Et pour reprendre les propres termes de Proudhon, « L’Anarchie, c’est l’ordre sans le pouvoir ».  Autre définition donnée par les Anarchistes eux-mêmes :  c’est un système fondé sur la libre entente de toutes les composantes de la Société.  J’ajouterai :  c’est la volonté de tenter  une conciliation entre le principe de Liberté ( auquel se réfèrent les adeptes du libéralisme  ) et celui d’Egalité ( cher aux tenants du socialisme ).

Je conclurai en citant un extrait des paroles d’un autre théoricien de l’Anarchisme, Elisée Reclus, prononcées en 1894, devant la loge maçonnique,  « Les Amis philanthropes »  de Bruxelles :

« Vous-mêmes, n’êtes-vous pas, sinon anarchistes, du moins fortement nuancés d’anarchisme ?  Qui de vous dans son âme et conscience se dira supérieur de son voisin,  et ne reconnaîtra pas en lui son frère et son égal ?  » .

A. LOY…

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